Exclusif – Entretien sur le retrait des moteurs Renault avec Christian Cornille, PDG de Mecachrome
Alors que le Groupe Renault a récemment officialisé la fin de la production de ses moteurs en Formule 1 à compter de 2026, nous nous sommes entretenus avec Christian Cornille, PDG de Mecachrome depuis 2019. Motoriste exclusif des championnats de F2 et F3, l'entreprise française assemblait et testait également les moteurs d'Alpine en F1.
Quel a été votre ressenti après l’annonce officielle de l’arrêt du développement du moteur Renault en Formule 1 ?
Comme tous les salariés d’Aubigny, qui sont très attachés au sport automobile et en particulier à la Formule 1, c’est un vrai déchirement. C’est un univers de passion, nous sommes passionnés de sport automobile, nous nous sommes passionnés depuis maintenant plus de 30 ans sur l’aventure Renault, sur l’aventure Benneton, sur l’aventure Alpine. Ces aventures ont été riches en émotions pour toutes les équipes. Voir cette séquence se terminer aujourd’hui nous procure beaucoup d’émotions et un sentiment de déchirement. Nous sommes des industriels mais avant tout des femmes et des hommes qui avons des émotions et la première des réactions est forcément émotionnelle, emplie de tristesse.
Votre partenariat avec Alpine F1 Team prendra-t-il fin automatiquement à l’issue de la saison 2025 avec la marque ? Envisagez-vous toujours une collaboration avec elle ?
Alpine reste un acteur important du secteur automobile pour nous car nous ne collaborons pas uniquement sur l’activité Formule 1. Bien sûr, cette dernière représentait à peu près la moitié de nos activités avec ce constructeur. Alpine reste un constructeur important dans le monde de l’endurance et du sport automobile dans d’autres compétitions. Nous allons essayer de maintenir notre relation avec lui. Mais pour la Formule 1, notre collaboration se termine et va se terminer vite, en partie dès la fin de l’année 2024 pour certaines activités. Et à la fin de l’année 2025 pour le reste des activités.
Votre suivi se poursuivra tout de même la saison prochaine ?
Oui, nous allons les soutenir pour essayer de faire au mieux dans le championnat 2025 avec le moteur actuel. Par contre, nos activités d’assemblage s’achèvent dès cette année, à un horizon très, très court puisqu’en quelques jours, nous n’avons plus d’activités pour un certain nombre de nos salariés. Fin octobre, nous n’aurons plus de rôle à jouer sur ce secteur-là. C’est un choc et il va falloir que nous nous adaptions très vite. C’est un travail que je mets en place avec nos partenaires sociaux pour tenter de trouver des solutions.
Étiez-vous tenu informé des décisions à venir par la direction du Groupe Renault ? Avez-vous un mot à dire ?
Nous avons été tenus informés au gré des informations publiques. Lorsqu’il y a eu la première annonce, nous avons été informés tout de suite après. Je ne considère pas que nous n’avions pas été mis au courant. Nous n’avons cependant pas eu de primeur d’informations. Nous avons été informés tout de suite après les annonces publiques.
Quelles sont les conséquences pour votre groupe, notamment vos salariés qui s’occupaient de l’assemblage des moteurs de Formule 1 ?
Ces salariés vont être redirigés vers d’autres activités assez rapidement. Des activités qu’il nous reste dans le sport automobile. Mais ces activités ne seront pas en mesure de faire face à cet arrêt. D’ailleurs, nous cherchons des opportunités dans le sport automobile avec tous les autres constructeurs que nous essayons de contacter pour leur offrir nos services. Si d’aventure ces opportunités ne se matérialisent pas, ce qui malheureusement risque de se produire puisque les constructeurs préparent leurs équipes depuis longtemps et n’ont pas besoin de Mecachrome, il faudra rediriger nos salariés vers d’autres activités qui sont liées à la Défense ou à l’aéronautique.
Vous êtes donc ouverts à des opportunités avec d’autres écuries de F1 ?
Oui, bien sûr. Si certaines équipes sont intéressées pour collaborer avec Mecachrome désormais puisque nous avions une relation exclusive en Formule 1 avec Alpine. Cette relation n’a plus lieu donc nous avons pris contact avec un certain nombre d’écuries pour essayer de coopérer parce que le monde de la F1 est notre univers. C’est un univers pour lequel nous sommes passionnés et pour lequel nous pensons apporter quelque chose. Nous sommes conscients que cette annonce arrive au pire des moments pour nous afin de trouver des opportunités car tous les autres constructeurs de moteur se sont d’ores et déjà préparés. Malheureusement, c’est un peu tard pour trouver des partenariats.
Comptez-vous appuyer sur votre expérience de plus de 20 ans dans le monde de la F1 ainsi que votre rôle majeur en F2 et F3 pour convaincre des écuries de collaborer avec vous ?
C’est ce que nous espérons. Nous souhaitons montrer à quel point Mecachrome était aussi un outil au service de la performance d’une écurie de Formule 1.
L’arrêt de votre collaboration avec Alpine peut-il avoir un impact sur votre développement des moteurs de Formule 2 et Formule 3 ?
Tout à fait. Cela a un impact car il faut savoir que le sport automobile était une activité importante sur laquelle nous amortissions des coûts fixes. C’était une activité dans laquelle nous avions des ateliers qui étaient partagés pour toutes les activités de sport automobile. Aujourd’hui, la moitié de notre business est partie. Mécaniquement, le coût de nos pièces produites, le coût des moteurs de F2 et F3 va augmenter. Maintenant, il faut que l’on rentre en discussion avec notre partenaire et essayer de voir avec lui s’il existe une piste pour retrouver un équilibre économique d’une manière ou d’une autre. C’est ce à quoi nous allons nous attacher dans les semaines à venir, une fois que nous aurons bien intégré toutes les conséquences de cette décision. Chaque semaine, nous recevons un peu plus d’informations parce que, du côté d’Alpine, le processus de décision a été relativement rapide et n’a pas donné forcément le temps à leurs équipes de bien savoir ce qu’il en découle. Nous sommes donc dans cette phase-là et effectivement, nos clients nous contactent tous en nous demandant si cela aura des conséquences. Nous les informons que, potentiellement, il y en aura car l’équilibre économique, qui était satisfaisant précédemment, ne l’est plus désormais et nous devons retrouver celui-ci.
Cela est également préjudiciable d’un point de vue technique pour Mecachrome.
Bien sûr, la coopération était tellement proche, tellement intime, qu’elle ne se limitait pas seulement à une prestation. Quand nous avions des difficultés, Alpine était à nos côtés, inversement quand ils en avaient. C’était un vrai partenariat de très longue date.
Luca de Meo a annoncé qu’il n’y aura pas de période de jardinage pour les employés de Viry qui souhaiteront rejoindre d’autres écuries. Certains de leurs salariés sont d’ailleurs déjà en contact avec d’autres constructeurs. Est-ce que certains de vos salariés pourraient également vous quitter si vos activités en F1 s’arrêtent là ?
Bien entendu. Il est évident que certains de nos collaborateurs, les plus talentueux, ont été chassés par un certain nombre de sociétés. Ces salariés se posent forcément des questions et certains vont d’ores et déjà partir, c’est sûr.