Isack Hadjar : son entrée en F1, ses attentes pour 2025 et au-delà
Isack Hadjar, pilote titulaire de F1 en 2025, décrit ses objectifs pour la saison qui va bientôt commencer. Il revient aussi sur son parcours, sur sa façon de travailler en tant que pilote, sur la première fois qu'il a piloté une Formule 1.
Isack Hadjar entre dans une nouvelle ère de sa carrière. Après une saison en F2 où il a impressionné par sa vitesse et son intelligence de course mais a manqué parfois de chance et de fiabilité avec sa monoplace, le jeune pilote français a été titularisé chez Racing Bulls pour la saison 2025 de Formule 1. Cette promotion marque un tournant : il ne s’agit plus seulement de briller en junior, mais de s’imposer dans l’élite du sport automobile.
Ce passage en F1 n’était pourtant pas assuré. Jusqu’à Abu Dhabi, Hadjar n’avait aucune garantie d’obtenir un baquet. Ce n’est qu’après un coup de fil décisif d’Helmut Marko qu’il a été confirmé dans le rôle de pilote titulaire. Maintenant, un tout nouveau défi l’attend : affronter les meilleurs pilotes du monde et se faire une place dans le paddock.
Avant d’entamer la saison 2025 en Formule 1, Isack Hadjar a eu un peu de temps à consacrer à différentes interviews, notamment avec le pilote de GT Romain Monti ou dans le podcast Les pistonnés. Le pilote titulaire de Racing Bulls y a développé ses ambitions pour le futur mais aussi la façon dont il a signé en Formule 1. Son entretien avec Les pistonnés a lieu à l’issue de sa première journée consacrée aux médias. « Toute la journée en fait. J’ai commencé à 9h30 et jusqu’à 16 heures c’était interview tout le temps, j’ai eu une pause pour manger sinon c’était que ça. » Ce n’est évidemment pas ce qu’il préfère, mais il est conscient que ça fait partie de son travail.
Retour sur la saison dernière
En 2024, Hadjar était toujours dans le giron de Red Bull mais continuait de faire ses armes en Formule 2. Longtemps en lutte pour le titre, il a tout perdu lors du départ du dernier Grand Prix.
Hadjar revient aussi sur des beaux moments comme à Spa, sommet de la saison selon lui. « Spa c’était malheureusement la dernière victoire de la saison, je le savais pas à ce moment-là mais c’était vraiment le point où clairement je massacrais le championnat. C’était pas facile mais ce jour-là on a clairement dominé. »
La frustration d’Abu Dhabi est aussi encore présente : il s’agissait de son tout dernier départ en F2, et un problème mécanique l’a empêché de démarrer. Pourtant, il était en bonne position pour remporter la course : « Là le scénario il est parfait, mon rival il part deuxième je pars troisième, j’ai une voiture à ce moment-là elle marchait fort, on était grave en forme ce weekend-là, je me suis dit c’est le scénario parfait, je vais la gagner à la régulière et je vais être champion, c’est magnifique », s’est-il dit avant la course. Il regrette évidemment de « ne pas avoir [eu] l’opportunité de se battre, c’est super rageant ».
Un pilote attaché à comprendre son environnement, tel Alain Prost
Alors que certains pilotes misent tout sur leur talent, Hadjar lui prend le temps d’analyser, comprendre. Si par le passé, les roulages en essais étaient plutôt réguliers, désormais, tout se passe sur simulateur. Et comme il n’a pas l’occasion de simplement monter dans une voiture et d’aller rouler, il est contraint de porter une attention particulière à tout le reste : « Tout ce que je peux faire autre que le pilotage ça je le fais », en profitant des nombreux interlocuteurs présents pour l’aider.
La différence peut se faire par son approche scientifique de la course, estime-t-il : « La différence que tu peux faire avec ton groupe d’ingé si t’arrives à les suivre sans qu’ils aient besoin de vulgariser, tu prends une longueur d’avance sur les autres. Pour moi, on est tous des pilotes rapides, on peut tous aller vite sur un tour mais le travail que tu fais à l’extérieur de la voiture il est tellement énorme, j’espère que ça va payer », déclare-t-il.
S’il avait l’habitude de « bombarder » les ingénieurs de questions auparavant, il explique que pendant ses débuts en F1 il va plus subir, le temps de s’adapter. « Je peux pas arriver direct et commencer à faire mon team leader et tout […] parce que j’ai pas les outils pour, j’ai pas l’expérience. »
Si c’est possible, il réfléchit plutôt que d’agir à l’instinct. « Je sais pas si c’est par rapport à mon approche ou par rapport à ma tête, mais Helmut [Marko] m’a dit ‘mini-Prost’ ». C’est plus souvent le surnom « le petit Prost » qu’on retrouve, mais quoi qu’il en soit la comparaison ne peut qu’être flatteuse : le talent de celui qu’on surnomme « le Professeur » pour son approche très intellectuelle du sport automobile est mondialement reconnu.
Le rêve d’accéder à la F1
Depuis petit, Isack Hadjar est passionné par la vitesse et les voitures, à tel point qu’il n’a jamais eu de plan B. Cela lui provient du film Cars. « Le film Cars je l’ai vu des centaines et des centaines de fois. Donc pour moi c’était normal, la voiture, la vitesse. »
Après plusieurs saisons en karting, il se fait remarquer par Helmut Marko lui même, à Monaco, en remportant une course de Formule régionale Renault : le soir même, Helmut Marko voulait le voir pour lui faire parvenir un contrat.
« De toute façon c’était simple. Moi j’ai gagné à Monaco en FRECA, et le jour même j’ai été signé. […] Helmut Marko il voulait me voir le soir même à l’hôtel pour qu’il me dise OK je vais t’envoyer un contrat en gros. »
Le fait d’intégrer ce programme lui a permis de voir plus loin, de savoir que s’il performait, il progresserait dans la hiérarchie. Dans ce sport, « avoir une perspective c’est un luxe ». C’est ainsi qu’il a réellement mis un pied en F1, car il a eu accès aux briefings, aux feedbacks avec les ingénieurs notamment.
« Personne ne m’a dit : Isack Hadjar, tu es pilote de Formule 1 avant Abu Dhabi même au Qatar tout ça, personne ne m’a dit tu seras en Formule 1 l’année prochaine. »
Avant l’appel d’Helmut Marko à Abu Dhabi l’année dernière, Isack Hadjar n’était pas du tout sûr d’avoir un baquet en F1 en 2025. Il y a pourtant eu un quiproquo avec la presse avant cela. Alors qu’on lui demandait s’il en savait plus sur son futur, il a répondu par l’affirmative : il savait qu’il aurait au moins un rôle de pilote de réserve en F1, mais pas s’il serait titulaire. À ce moment, beaucoup ont cru qu’il avait déjà signé son contrat, mais il n’en était rien.
« [Paul] Aron venait tout juste de parler de rôle de réserviste et tout, et moi à ce moment-là j’étais réserviste et ils m’ont dit « Isack tu peux en dire plus sur ton futur ? » et je leur ai dit « moi j’en sais plus sur mon futur entre guillemets mais il n’y a rien de confirmé ». Parce que je savais que l’année prochaine j’allais être dans le paddock F1. […] Les gens ont cru comprendre que ouais ça y est j’avais signé mon contrat F1 et que c’était plié. »
La concurrence avec Colapinto pour la place chez Racing Bulls a été évoquée : Franco Colapinto a beaucoup impressionné, il était déjà très populaire, il aurait probablement ramené pas mal de finances… Mais Isack Hadjar dit ne pas s’en être vraiment occupé : il avait tout donné en F2, il ne pouvait rien faire de plus. « J’ai entendu hein comme tout le monde mais j’ai pas du tout… tu veux que je fasse quoi ? J’essaie juste de gagner mon truc en F2, de faire bien, et à ce moment-là de la saison j’avais déjà tout prouvé. J’ai montré ce qu’il fallait montrer, ça suffit, je suis content. »
Son premier roulage en Formule 1
Après le rêve, la consécration. Enfin, pourtant si jeune mais après autant d’attente, le Isack Hadjar peut enfin prendre le volont d’une Formule 1, au volant d’une AlphaTauri. En plus de la pression des médias, la tension était forte pour ne pas caler, dans une monoplace dont il ne connaissait encore pas grand chose : « Est-ce que je vais sortir sans caler ? » s’est-t-il demandé. Il pensait être impressionné par les sensations dans la voiture au moment des freinages et des virages rapides, mais dès qu’il a désactivé le limiteur en sortie de ligne des stands, il a été scotché par la puissance de la monoplace.
« Et j’enlève le pit limiter et là ça décolle. Mais vraiment, ça m’a choqué. Au Mexique c’est là où il y a les plus grosses vitesses de pointe. […] Je me suis dit les freinages, les virages rapides ça va être impressionnant, mais honnêtement même la puissance, c’était assez fou. »
« Grosse différence avec la F2 ? Tu te fais allumer. Ça n’a rien à voir. »
« En course […] la dégradation des pneus elle était très faible, contrairement à la F2 où c’est plus compliqué, je pouvais vraiment pousser. », remarque Hadjar avec enthousiasme.
Surpris par la faible dégradation des pneus par rapport à ce qu’il avait connu en F2, il s’est vite rendu compte de la différence d’exploitation et de la faible fenêtre de température dont les pneus Pirelli disposent en F1 pour performer.
« Le plus compliqué pour moi c’était le travail sur la mise en route des pneus, le warm up des pneus, en F1 c’est compliqué, parce que tu sais t’as un target précis à atteindre avant de commencer ton tour et en fait les pneus avant ils descendent très vite en tempé[rature]. »
Avec encore très peu d’expérience en F1, il avoue même appréhender le moment où il devra piloter sous des conditions changeantes et sous la pluie : « Piloter une F1 dans des conditions changeantes en slick, honnêtement elles sont tellement compliquées à piloter, elles partent tellement vite, il y a tellement de puissance tu peux vite te faire avoir. On a vu les rookies sous la flotte au Brésil, c’était très dur. »
En plus des conditions météos, Hadjar va aussi découvrir plusieurs circuits, qu’il n’a jamais pratiqué cette année. Un challenge supplémentaire.
« Découvrir des nouvelles pistes dans une Formule 1 ça va… sur des weekends sprint en plus j’aurai même pas le temps […] ça va être compliqué, je le sais. »
Cependant, il rappelle qu’il n’y a que 5 tours de piste en Essais Libres en F2, il préfère le format de la F1, il aura plus de temps pour s’entraîner avant les qualifications et la course :
« Le format F1, par exemple EL1, EL2, EL3 avant d’aller en qualif’, moi je préfère ça que cinq tours en Free Practice en F2 et monter en qualif’. »
Débuter dans la bonne écurie
Il pense être dans un bon environnement pour ses débuts en F1 : il n’est pas dans une écurie où les résultats des ordinateurs passent parfois avant le ressenti des pilotes, comme Bottas a pu s’en plaindre après ses années chez Mercedes. Isack Hadjar en a discuté avec son ingénieur, « Ce dont j’ai discuté avec Laurent mon ingénieur, […] je m’en rappelle j’étais en train de dîner avec lui il m’a dit « c’est vrai qu’on a plein de capteurs sur la voiture, mais le plus important ça reste le pilote ». Donc déjà quand ton ingé te dit ça tu te dis ah ok j’ai mis les pieds chez des gens qui ont la bonne approche. »
Il va devoir se faire au changement d’ambiance entre la F2 et la F1 : maintenant, c’est beaucoup plus sérieux. Cependant, « mon ingénieur c’est un français, les ingénieurs bon c’est un mix Anglais-Italiens, les mécanos c’est purement des Italiens, donc déjà l’ambiance est bon vivant. »
Se méfier des autres pilotes
Pour lui, c’est « impossible » de juger un pilote depuis l’extérieur, surtout les jeunes pilotes. Il ajoute que « de l’extérieur même pour moi de juger un pilote c’est tellement compliqué, c’est un sport qui demande tellement de mental que le talent limite parfois c’est secondaire ».
Hadjar explique que l’arrivée simultanée de pleins de jeunes en F1 prouve qu’il n’y a pas assez de places pour tout le monde, qu’il y en a beaucoup d’autres qui ont le niveau pour la F1. « Ça veut juste dire que notre génération elle est costaud et que y a juste pas assez de place pour tout le monde, c’est surtout ça. » Il évoque Bearman et ses coups d’éclat, puis Antonelli et sa vitesse pure impressionnante. « Je pense vraiment face à Russell en tout cas sur les séances de qualifications il va lui donner du boulot, je pense vraiment qu’il va lui donner du boulot, après le dimanche ça va être beaucoup plus compliqué naturellement mais je pense qu’en vitesse il va être fort. » Passé directement de F2 à une grande équipe de F1 telle que Mercedes, Antonelli lui rappelle un peu Verstappen. Il ne se fait pas trop de souci pour lui, car Mercedes l’a bien préparé : il estime qu’Antonelli a 20 fois plus de kilomètres au compteur que lui-même.
Hadjar a beaucoup de respect pour Lewis Hamilton, que ce soit pour sa « personnalité, ce qu’il dégage et ce qu’il fait en piste ».
Quant à Verstappen, de son point de vue il est très « complet dans toutes les conditions » en plus d’être mentalement solide, mais à l’échelle d’une course il pense qu’Hamilton a le même niveau.
Avec Romain Monti, Hadjar évoque d’ailleurs une anecdote datant de ses premiers Essais Libres en F1, à Mexico. Hamilton se trouvait derrière lui, ils étaient tous les deux dans un tour de rentrée. Hadjar a alors demandé par radio : « Je peux l’attendre pour lui faire un coucou ? » mais on l’a gentiment enjoint à avancer à la place.
À choisir pourtant, s’il devait discuter technique avec quelqu’un, il préférerait parler avec Adrian Newey, avoue-t-il.
Objectifs pour 2025
Pour sa première saison de Formule 1, il veut marquer les esprits et se mesurer à Yuki Tsunoda, profiter d’avoir un « coéquipier super solide à côté, qui a de l’expérience ». Hadjar se donne une bonne année pour être bien rodé, en revanche il veut performer tout de suite : « être un vrai pilote de F1, c’est différent de performer ». Performer, c’est « savoir extraire le maximum d’une F1. Après ça ne veut pas dire pas faire d’erreurs, faire les bons choix de setup, mais la vitesse pure c’est ça, je parle vraiment purement en vitesse. »
S’il arrive chez Red Bull et que Verstappen est toujours là, il appréhende bien sûr de se comparer directement avec Max, mais « je suis tellement curieux d’avoir la même voiture que le meilleur pilote au monde et de voir ce qu’il fait différemment. » Pense-t-il qu’il a lui-même le potentiel pour devenir le meilleur ? Oui, et c’est indispensable pour réussir. Savoir qu’à l’heure actuelle il n’est pas le meilleur, mais qu’il est capable de le devenir. « Si tu me dis « Est-ce que t’es le meilleur au monde ? » Là actuellement non, bien sûr. Mais est-ce que je pense avoir le potentiel pour être le meilleur au monde ? Là ouais, je vais te dire oui, c’est sûr. Si tu penses pas comme ça je pense pas que tu puisses réussir. »